Interview de Samantha Bailly par Elbakin
Elbakin.net : Samantha, tu publies un livre à 20 ans : était-ce un rêve d’enfant, d’ado, ou bien est-ce que ça t’est un peu "tombé" dessus ? Samantha Bailly : Je ne vais pas être très originale, c’est un rêve qui est né durant mon enfance et qui a pris corps pendant mon adolescence. Je ne saurais dire si une passion vous "tombe" dessus ou si vous la cherchez, mais j’essaye de vivre avec ce besoin d’écrire, qui justifie beaucoup de mes choix. La publication représente une forme d’aboutissement pour un manuscrit, selon les critères de chacun. C’est un rêve en ce qu’elle permet d’élargir son cercle de lecteurs et de laisser une petite trace pour son entourage. Cependant, c’est une expérience très prenante qui est aussi matière à remise en question. Il faut réviser sa gestion du temps et savoir se recentrer sur ce qui est à mon sens l’essentiel : écrire. On peut dire que même si c’est un rêve depuis quelques années, la réalité nous "tombe" toujours un peu dessus…
Alors, si je comprends bien, toute petite tu avais déjà l’intention de publier un livre ? Ou alors tu souhaitais "seulement" écrire, rêver et coucher tes rêves sur le papier ? Petite, écrire et être publié me paraissaient être deux choses qui allaient ensemble. C’est sans doute notre héritage culturel, le livre en tant qu’objet est particulièrement sacralisé en France, tout comme le métier d’écrivain. Cependant, au fil des rencontres et des romans, j’ai commencé à changer de point de vue. Le mythe de la publication comme étant un vrai parcours du combattant n’est pas une légende visant à impressionner les lecteurs ou les jeunes auteurs. Trouver un éditeur, c’est trouver une personne qui va investir du temps, de l’énergie, et évidemment, de l’argent dans votre travail. L’édition reste un monde où le livre naît d’une union entre l’artistique et le commercial. Alors une question essentielle se pose : pourquoi est-ce que j’écris ? Est-ce simplement pour partir en quête d’éditeurs ?
Quand on remet ses véritables objectifs en perspective, l’essentiel apparaît. C’est dans l’acte d’écrire que je trouve du plaisir, d’avoir des projets, de les mener à bien, d’être en perpétuelle évolution. Je n’aurais pas abandonné l’écriture, même en renonçant à l’idée d’être publiée, et je n’ai même pas envisagé le compte d’auteur. L’ironie du sort est que c’est alors que j’étais dans cette période de renoncement que j’ai vu Au-delà de l’oraison être accepté par les éditions Mille Saisons…
Pourquoi est-ce que tu t’es tournée vers la Fantasy ? Car si on considère que c’est une niche un peu à part dans l’univers de la littérature, est-ce que c’est plus facile ou plus difficile d’être publiée quand on écrit dans ce registre ? Disons que mon imaginaire est nourri par toute une vague "fantasy" qui déferle par le biais non seulement de la littérature de ce genre, avec le succès de Harry Potter, mais aussi à travers les jeux vidéos, BDs, mangas… J’imagine alors que le choix de ce genre est naturellement à mettre en corrélation avec ces influences. J’ignore si l’on peut mesurer ce qui est plus difficile ou plus facile en matière de publication. Ce qui est certain, c’est que la fantasy est en effet un tout petit monde au sein de la littérature. La fantasy francophone y a une place plus petite encore, à côté de l’immense production anglosaxonne.
Pourquoi le thème de la mort, avec toutes ses conséquences, est-il si présent dans ton roman (jusque dans le titre, car le mot "oraison" renvoie quand même à une certaine idée) ? Je trouve que la fantasy est un genre particulièrement propice à l’exploration de cette thématique. C’est peut-être une façon de trouver des réponses face aux angoisses de la mort, car l’imaginaire permet de se projeter au-delà de ce que l’on voit ou de ce que l’on sait. Cela permet de se dire qu’il y a autre chose de l’autre côté, d’imaginer quoi, de créer des personnages qui auront un autre rapport à la mort. C’est le cas avec la religion d’Hélderion, basée sur l’idée de réincarnation. Même si Noony est le personnage ayant le plus de vitalité, le plus d’optimisme, elle incarne la mort par son statut d’oraisonnière. Quand ses certitudes si solides sur l’existence s’effondrent, sa conception de la mort évolue. Le lecteur suit ainsi ses révélations, ses doutes, ses changements. Évidemment, le titre du diptyque, Au-delà de l’oraison, est loin d’être innocent. Cela donne un axe de lecture. L’oraison, c’est à la fois le discours d’éloge funèbre, une façon de verbaliser le deuil, mais c’est aussi le mystérieux rituel qui l’accompagne. Dans cette crise, la question centrale est finalement : qu’est-ce qu’il y a au-delà de l’oraison ? Le roman n’est pas là pour apporter une réponse tranchée, ni pour explorer l’imaginaire de l’après mort. Tout se déroule à l’intérieur des personnages, et c’est ce point qui m’intéressait beaucoup. Mais si Thanatos est certes omniprésent, il a aussi son versent Éros à travers Aileen et sa découverte de la sexualité.
Est-ce qu’il y a un personnage auquel tu t’identifies, ou plusieurs ? Ou bien pas du tout ? Je pense que l’on met, consciemment ou non, un peu de soi même dans chaque personnage, à des degrés plus ou moins élevés. Mais pour être honnête, je ne m’identifie à aucun d’entre eux.
Si tu ne t’identifies à aucun de tes personnages, est-ce que par contre d’autres personnes de ton entourage t’ont inspiré ?
Comme beaucoup de romans, je crois que celui-ci a été un véritable creuset réunissant toutes sortes d’influences, que ce soit dans la littérature ou dans la vie réelle. On peut y déceler quelques éléments autobiographiques, souvent inconscients. Par exemple, avec le recul, je trouve que monsieur Bellor ressemble beaucoup à l’un de mes professeurs d’histoire-géo au lycée. En revanche, Gide, Joscard ou encore Soliane ne sont pas du tout inspirés de personnes de mon entourage… et j’ai envie de dire heureusement ! (rires)
Pourquoi un diptyque ? Est-ce un choix de ta part, ou est-ce une "pression" éditoriale ? C’est un choix de ma part, je voulais pousser la dualité et le parallélisme jusque dans la composition même du roman. Une trilogie aurait été davantage appréciée par les éditeurs, je pense, c’est un format plus commercial.
Et ensuite ? Tu vas continuer sur le même thème, le même univers, ou alors changer radicalement ? Je travaille en ce moment sur plusieurs projets. J’ai repris il y a peu mon témoignage de voyage en Biélorussie, intitulé Ne les oubliez pas, que j’avais laissé de côté pendant les corrections de La Langue du silence. Cela me tient particulièrement à cœur. À côté de cela, je démarre doucement une préquelle à Au-delà de l’oraison, intitulée Métamorphoses, qui met en scène le personnage de Sonax…
Merci pour toutes ces réponses, c’est bien gentil de ta part de t’être pliée à cette loooooongue interview (sur la durée…). Mais de rien, ça me fait plaisir